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Allégorie des adorateurs du soleil

Un vieux texte, écrit dans la douleur; bien triste qu'il me soit encore tant porteur de sens.

 

 

                Fermez les yeux. Et imaginez.
                Tout d'abord, un peuple. Qu'importe qu'il soit prospère ou chaotique, qu'importe qu'il soit puissant ou insignifiant, faites qu'il vous ressemble, sûr de lui-même, fier de ce qu'il est; un peuple comme n'importe quel autre. Ajoutez lui une spécificité : ce peuple est heureux lorsqu'il est ébloui. Littéralement. Ce qu'il aime, ce qu'il chérit, ce qu'il trouve beau et recherche, n'est que brillance et lumière. En supposant qu'ils en soient capables, ils s'extasient à la vue du soleil, car celui-ci est la lueur la plus puissante en leur monde, tout en étant accessible à tous, tout le temps : la nuit ne tombe jamais là-bas. Nommons ce peuple désormais : voici le peuple des adorateurs du soleil.
                S'en suit logiquement une conséquence : la recherche sans discussions de l'accès perpétuel au bonheur. Ces pauvres êtres ne se rendent pas compte de leur attitude, ne se voient pas baver devant le nectar qu'est pour eux la lumière. Ils en ont en effet une vision simple : le Bonheur est la lumière, la lumière est le soleil; le Bonheur est donc le soleil, sans hésitations ! Alors, puisqu'être heureux est doux, puisque la vie passe plus simplement dans le délice, il faut vivre sous le soleil. A n'importe quel prix. Dans l'excès, certains resteront à fixer l'astre, nuits et jours, oubliant de se nourrir, de boire, ou même de bouger, oubliant simplement qu'ils vivent, et mourront de leur folie. D'autres chercheront à le reproduire, puis à le vendre : ce qui est lumineux est beau, ce qui est beau est cher. L'on dit que rien de mauvais ne peut résulter de ce qui est bon, mais cela est faux : du Beau nait la Recherche du Beau. A moins que le Beau ne soit pas bon... Idée bien saugrenue, je vous l'accorde. Qui n'a jamais effleuré l'esprit d'un seul adorateur. Aucun. Un point commun lie donc ces pauvres esprits : ils cherchent tous à s'approprier cette beauté.
                La description de ce qui va suivre va certainement vous amuser, et vous aurez bien raison de vous moquer. Les adorateurs, tous enorgueillis par la connaissance du Beau, cherchent à se l'approprier par un système d'imitation. Plutôt que de chercher à créer une lumière qui leur soit propre, ils arrachent la divine puissance du ciel qui l'abrite, et s'imaginent que celle-ci leur appartient. Leur méthode, bien que grossière, est universelle, car elle est simple et accessible même à l'enfant qui vient de naitre et qui demande à être beau. Cette technique a pour élément primordial le miroir : ainsi, un corps recouvert de miroirs brille, et de ce fait est beau. Un adorateur impossible à reconnaître tellement il est brillant est d'une beauté que l'on qualifiera de grandiose ou de majestueuse. D'ailleurs, qu'importe qui il est en réalité :  c'est un adorateur, il est beau, ou plutôt pense l'être, et cela satisfait tout le monde, rend tout le monde heureux et joyeux. C'est là le principal. Enfin, ce peuple ayant tout de même d'autres occupations toutes aussi importantes, les adorateurs se contentent le plus souvent de se recouvrir le corps d'une huile réfléchissante, bien sûr toxique. Enfin, il faut souffrir pour être beau. Et, d'un accord commun, il vaut mieux pouvoir dire en ses dernières paroles "Je fut beau" que de vivre et ne pouvoir le dire.
                Malheureusement, ce système crée des inégalités. Plus la peau d'un adorateur est blanche, plus elle réfléchis le soleil. Oui, mesdames et messieurs, il s'agit d'un racisme de la beauté. Il y a des lois pour empêcher cela, l'on interdit la libre expression. Dire ce que tout le monde pense est interdit. Ou très mal vu, tout du moins. Il n'est pas bon de naitre à la fois adorateur et noir. La naissance fait partie des divinités qui peuvent influer sur l'ensemble d'une vie. Bien heureusement, elle n'interdit à aucun de devenir beau, grâce aux miroirs implantés chirurgicalement quand la douleur liée à l'absence de beauté devient insoutenable. C'est une pratique très répandue, qui soigne des millions de gens chaque année. Le monde est si bien fait, il autorise à tous d'être heureux.
                Bien fait, mais imparfait : tous ne peuvent bénéficier de ces soins, souvent bien trop chers. Surtout que les adorateurs qui réussissent le mieux dans leur imitation ne prennent absolument pas la peine d'aider leurs confrères dans le besoin. Chacun sa merde, comme on dit. Et s'il ne brille pas, c'est qu'il n'y met pas du sien, non plus, enfin, tout le monde peut réfléchir le soleil s'il s'en donne la peine. Sauf que certains n'y arrivent pas, quels que soient les efforts apportés. Dame Naissance dans toute sa puissance, maudissant les plus pauvres d'entre eux.  Ainsi s'est créé un second type d'adorateurs : les adorateurs indirects. Ceux-ci, plus que rechercher leur propre brillance, viennent se rajouter à celle d'un adorateur plus lumineux, s'octroient une partie de sa beauté. Cette symbiose demande souvent en contrepartie que l'adorateur indirect éclaire autant que possible son mécène, participant en quelque sorte à la gloire du groupe. Cela va jusqu'à créer ceux que l'on appelle "les étoiles", quand des milliers de gens mettent les projecteurs sur ces êtres d'exception. Ceux-ci, que j'aime appeler les simili soleils, sont constamment à deux doigts de prendre feu, si bien qu'en général ils le prennent, et l'on se rend compte de leur mort uniquement des années plus tard, quand le flux devient moins intense et que quelqu'un arrive à les approcher. Leur cadavre, autrement dit leur souvenir, continue la plupart du temps de briller longtemps après leur mort, à croire que ceux-ci sont en réalité immortels.
                Vous comprenez désormais l'étendu du pouvoir que peut avoir la lumière sur ce peuple. Ne vous inquiétez pas : ceux qui ont conscience de ce pouvoir ont l'intelligence de bien s'en servir. Pour leurs intérêts, bien entendu; ne rêvez pas d'êtres bienfaisants (ils sont intelligents, souvenez vous), ils savent être discrets quand il s'agit de régner. Et puis, après tout, nous n'avons rien à leur reprocher, si ce n'est qu'ils encouragent l'adoration, l'accentuent, l'insinuent dans la vie de tous, toujours plus, toujours plus, parfois trop mais jamais assez. Ce n'est pas un mal, le mal était déjà là avant leur venue. Ils profitent, c'est un trait commun à tous les êtres vivants. Ils ont beau être intelligents, être les maitres des foules, ils restent pourtant impuissants, et pour cause, ils ne savent pas quelle est la source de leur pouvoir. Personne ne s'intéresse au pourquoi : de nos jours, seul le comment compte. Ils ne cherchent donc pas à savoir d'où leur vient cette adoration du soleil, mais se contentent de l'effectuer dans l'intérêt de leur bonheur. Hélas, de temps à autres, un pauvre esprit se perd dans la question du pourquoi, ce qui est toujours suivi d'immenses regrets.
                En général, tout commence dans l'obscurité : un adorateur qui, dans un concours de circonstances désastreux, se retrouve à ne plus être bercé d'une chaude lumière, peut alors se rendre compte d'une chose : les adorateurs luisent dans le noir. Non pas d'un flot majestueux digne du soleil, mais d'une faible étincelle aux aspects quelque peu nostalgiques. Enfin, et c'est le pire, c'est une lumière incomplète, une couleur, une simple composante du blanc pur. Imparfait, donc honteux. Il semblerait que chaque adorateur sache quelle est sa couleur, puisque les adorateurs se savent différents les uns des autres. Mais la plupart du temps, ils oublient, trouvent cela insignifiant, inutile, et retournent adorer le soleil, en communauté, avec les autres. Leur couleur, source de différences et de conflits, doit être mise de côté s'ils veulent former un peuple uni. Si l'union est parfaite, la couleur commune devient le blanc, la pureté, et tous oublient qu'ils sont imparfaits. L'oubli, une clef du bonheur.
                Alors, l'adorateur clairvoyant peut se permettre une réflexion : et si ses yeux étaient destinés à voir cette lueur bien particulière? Car, cela se confirmant facilement, cette lueur est propre à chaque homme, unique par sa couleur, et belle. Mystérieusement belle. Et si ce bonheur, ressentit à l'observation de la lumière, n'était qu'un moyen de notre corps pour nous intéresser à la couleur propre des êtres nous entourant? Car pourquoi aimer le lumière? La vie telle qu'elle existe se doit d'avoir un sens, sinon le monde serait un serpent se mordant la queue, un Quetzalcóatl malade. La recherche du sens, animant cet adorateur, le fait penser au destin. Au hasard. Il recherche les clefs du monde, essaye de comprendre pourquoi il existe, où il va, et où il doit aller. Il se retrouve donc confronté à Dieu. Il cherche à comprendre ce Dieu, savoir pourquoi il a agit de cette manière en créant le monde. Il se place dans l'idée que tout à un sens, alors que le chaos seul pourrait être maitre sans que cela ne change rien.  Dans la recherche de l'Ordre, il en identifie les outils. Et il place la couleur propre en tant que pierre angulaire de sa vision. Cette couleur propre, ce qui au final revient à dire l'âme.
                Poussons la réflexion plus loin : pourquoi les adorateurs aiment-ils le blanc, la pureté? Il n'existe aucune couleur propre qui ne soit blanche, et de ce fait aucun être qui soit pur. Seule l'union permet le blanc. Mais c'est un blanc temporaire, un blanc presque noir tellement il n'est pas naturel. Car, ne nous voilons pas la face, il y a toujours des tricheurs dans la communauté. Il n'existe pas un seul peuple, pas un, qui ne crée le blanc du mélange de ses couleurs propres : tous usent du soleil. C'est bien plus simple. Alors non, ce ne sont pas des adorateurs blancs par leur union, mais de simples imitateurs du soleil, simplement groupés. Rien de bien différent des simili soleils. Mais, tentons l'impossible, imaginons que deux personnes s'avèrent avoir des couleurs complémentaires. Alors leur union créera la blancheur, et leur éclat surpassera celui du soleil. Car oui : sans user d'imitation, sans voler la lueur de l'astre, deux êtres peuvent eux-mêmes produire le blanc pur. Là réside une beauté propre à l'adorateur, une beauté qui est et restera à jamais inaperçue d'eux. A croire que le soleil les a rendu aveugles.
                Mais trêve d'utopies inutiles. Nous avons le soleil, et cela est bien assez. Revenons à notre adorateur, et appelons le "sage" pour plus de commodités. Comment doit-il réagir? Il a touché la conscience même de l'adorateur, sa raison d'être, la Vérité. Il se doit de le dire à quelqu'un, lui montrer la voie, lui apprendre. Et c'est là qu'apparaissent les regrets.
                Tout d'abord, le sage n'est plus attiré par le soleil. Il ne l'aime plus : ce n'est qu'un imposteur, une image erronée de la perfection, un hypocrite. Il s'est alors détourné de son éclat, et sa peau n'est plus brillante; à vrai dire, cette brillance le fait bien rire désormais, puisqu'elle est vulgaire, universelle et tellement commune, en comparaison à la couleur propre. Plus que cela, il ne tire plus aucun plaisir à regarder le soleil. Quelque chose s'est brisé en lui, la Vérité l'ayant changé, l'ayant fait évoluer. Il n'est plus dupe, ne peut plus être dupe. Il est l'esclave de son savoir. De ce fait, le sage se présente à son congénère, mât. Et bien entendu, se fait rejeter. Logique, puisqu'il est laid : la pupille de son interlocuteur n'a que faire d'une lueur qu'il ne voit même pas, puisqu'elle est effacée par le soleil environnant. Alors le sage lui demande d'entrer dans l'ombre, pour lui montrer. Le congénère refuse, rit et s'en va. Et son attitude est représentative de tout son peuple. Le sage ne peut être qu'incompris.
                Il ressent de la solitude. Déjà, il sait être le porteur d'une couleur unique : il n'a pas de semblables. Ensuite, il est rejeté, et cela le fait souffrir, lui qui est pourtant l'égal de tout autre, une fois mis à l'ombre. Alors, deux consolations s'offrent à lui : oublier, ou rêver de sa couleur complémentaire. Mais cela n'est pas la question de cette allégorie : personne n'a que faire du bonheur du sage.
                Le sage, observant les couleurs, apprend à distinguer les autres, à les catégoriser tout en gardant leur unicité : il ne fait tout simplement que les comprendre là où eux ne savent même pas qu'ils possèdent cette âme. Et il se fait deux sortes d'amis : ceux s'approchant de sa couleur propre, et ceux s'approchant de sa couleur complémentaire, qu'il rêve toujours de rencontrer. Ceux-là aussi l'apprécient : leur inconscient perçoit sa couleur propre, et cette appréciation entre en conflit avec l'absence de luminosité, le sage restant mât par choix. Alors, pour se protéger, ils ne cherchent pas à comprendre, ils jugent : c'est bien plus aisé. Le sage passe pour un fou, sympathique mais pas dangereux. A vrai dire, il n'est dangereux que pour lui-même.
                Ainsi vit le sage, portant le fardeau de la Vérité. Un jour, une autre couleur qu'il apprécie, prise de pitié pour lui, tente de le faire briller. Lui offrant son aide et ses conseils, elle est persuadée du bien qu'elle apporte. Et de cela émerge la Déchirure. Faut-il que le sage oublie ce qu'il sait, qu'il dissimule son âme derrière celle du soleil universel, ou bien qu'il persiste dans sa Vérité, qui n'éveille pas en lui le bonheur aseptisé présent chez les autres? Car oui, c'est un peuple heureux, là où lui est triste. Alors, la déchirure de son âme l'engloutit dans la douleur. Le monstre Vérité engloutit une proie bien trop faible pour la vie. Et là, au fond du gouffre, seul avec lui-même, le sage perçoit une Vérité terrible, qu'il se répugne à croire.
                La lumière détruit l'âme.
                L'exposition trop prolongée au soleil fait disparaître peu à peu la couleur propre des adorateurs, jusqu'à la faire s'éteindre. Définitivement. Elle les rend morts de l'intérieur. Bien sûr, ceux qui se sont le plus exposé au soleil sont ceux les plus touchés, ceux les plus sombres en leur être. Ironique, pense le sage, que le soleil soit celui qui apporte les ténèbres. Mais d'où vient donc ce soleil? Quel être pervers, quel esprit ou force l'a placé haut dans ce ciel, piège tellement attrayant? Qui a condamné les adorateurs à la noirceur? Qui donc? Quoi?
                Le sage n'a pas de réponses. Il ne sait même pas si ce qu'il sait est juste. Mais il discerne les contours d'un ennemi capable de détruire sa couleur propre. Et il ne se laissera pas faire. Alors il écrit une allégorie.
                Recontextualisez. Et ouvrez réellement vos yeux.

               

Je ne vous demande pas de devenir des sages, je ne souhaite pas partager cette tristesse.

Je vous demande simplement de le comprendre,

 

de me comprendre.

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