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RAPPORT M.S.

Voila. Ici s'achève le rapport. Voila les derniers mots qui scellent le destin de M.S. J'ai beaucoup aimé écrire ce petit roman, j'ai adoré me mettre dans la peau de ce pauvre être, et j'espère que vous aurez pris autant de plaisir à me lire que moi j'en ai eu à écrire. Je vous en prie, n'hésitez pas à me donner votre avis, celui-ci m'est très important. Je vous laisse donc apprécier la fin de ce périple sentimental qu'est la vie de ce compositeur esseulé. 

RAPPORT M.S.
 
 
 
Voici le rapport de l'enquête spéciale traitant l'affaire M.S.,rédigé par l'inspecteur Ledure, à la demande officielle de madame l'ambassadrice de Grande-Bretagne en France, Mme Ghegle.
Les faits remontent au 2 septembre 2015. M.S. a été retrouvé mort dans son appartement par sa concierge, venue faire le ménage comme à son habitude, tous les mercredis. Elle a aussitôt appelé la police, qui a fait le rapport suivant :
"La victime était pendue à un lustre, grâce à une corde de piano enroulée plusieurs fois sur elle-même, provenant de l'instrument présent dans la pièce. Trois aspects surprenants ont cependant retenu notre attention :
- la chaise ayant permis à la victime de s'attacher la corde au cou n'a pas été poussée : elle était toujours debout, entre les jambes du corps, ce qui est franchement inhabituel;
- l'absence de lettre de suicide, malgré la présence de tout le matériel nécessaire à l'écriture sur le bureau, dont du papier à lettres;
- la présence d'une dizaine d'enveloppes timbrées, sans adresses, au fond de sa poubelle."
 
Suite à l'annonce du décès, madame l'ambassadrice a fait sa demande officielle auprès de notre institution d'une enquête spéciale, et j'ai alors saisi l'affaire. Les médecins légistes ont apporté la première réponse à nos questionnements : M.S. n'est pas mort à cause de la strangulation provoquée par la corde, mais à cause d'un arrêt cardiaque qui serait donc survenu alors qu'il avait la corde au cou. Mais une autre hypothèse était que quelqu'un l'aurait attaché là après sa mort; tout était possible, maintenant que la pendaison n'était plus la cause du décès. Il était de plus impossible de savoir s'il avait été empoisonné, car de nombreuses substances arrêtent le cœur sans être détectables.
J'ouvris donc les 13 lettres découvertes dans la poubelle (vous trouverez ces lettres, retranscrites, en annexe de ce rapport) et découvris Rose Finmelse. Il semblait évident que cette personne devait avoir un lien fort avec l'enquête, et je décidais de la retrouver. J'eu beau chercher dans tous les registres possibles, à plus de 500 km à la ronde, avec toutes les orthographes possibles et inimaginables, j'ai même pensé à rechercher des anagrammes de ce nom : absolument rien. Comme si elle n'existait pas. Je me résignai alors à aller interroger Mme Ghegle, chez qui M.S. avait rencontré Rose:
" - Que pouvez-vous me dire de Mme Finmelse?
- M.S. m'a beaucoup parlé de cette personne, en bien. A vrai dire, je ne l'ai jamais vu de mes propres yeux, mais il parait que c'est une personne charmante et très agréable.
- Pourtant, M.S. a rencontré Mme Finmelse à de nombreuses reprises lors de vos soirées; comment expliquez-vous que vous ne l'ayez jamais vu?
- Monsieur l'inspecteur, il est tout bonnement impossible que Mme Finmelse soit venue à l'une de mes soirées sans que j'en sois mise au courant !
- Cela est fort étrange... Hum, vous souvenez vous de la soirée que vous avez donné le 29 avril dernier?
- Je pense bien, oui.
- Pouvez-vous me dire si M.S. a passé sa soirée avec quelqu'un, ce jour là?
- Maintenant que vous le dites, je me souviens qu'il avait une attitude assez singulière : il avait commencé par cracher sur l'ambassadeur de Turquie, qui s'est fortement vexé et que j'ai dû apaiser avec de plates excuses. Puis M.S. a passé le reste de sa soirée seul, dans son coin. Il a même fini par danser seul, en fin de soirée, avant de rentrer chez lui.
- Il dansait seul? Vous en êtes certaine?
- Absolument certaine. Il était assez ridicule, et je pense bien que tout le monde l'a remarqué à ce moment là.
- Très bien. J'aurai une dernière question : vous avez donné une autre soirée, un peu plus tôt dans l'année, à la mi-février, et il semblerait que vous ayez indiqué à M.S. le nom de Rose Finmelse. Confirmez vous cela?
- Absolument pas ! Je me souviens parfaitement de cette soirée, il me demandait l'identité d'une personne qu'il avait croisé dans la rue, comment aurai-je pu la connaitre? A vrai dire, il a semblé être satisfait en plein milieu de la conversation, comme si j'avais dit ce qu'il souhaitait entendre. Peut-être a-t-il cru comprendre quelque chose? Peut-être me suis-je mal exprimée? En tout cas, il est reparti le sourire aux lèvres."
 
Je décidai donc de partir vérifier l'existence de madame Finmelse en allant enquêter dans les parcs où M.S. et elle étaient censés s'être donné rendez-vous de nombreuses fois. Tous les passants que j'interrogeaient et qui reconnaissaient M.S. étaient unanimes : ils l'avaient toujours vu seul. Je retrouvai même le vieux joueur d'échecs, qui m'a assuré, non sans marmonner son déplaisir, qu'il avait perdu contre cet homme et cet homme seul, et qu'il n'y avait jamais eu de femme qui l'accompagnait. Au restaurant, M.S. avait définitivement dîné seul, ce 18 avril. Un coup final fut porté à l'existence de Rose Finmelse quand je retrouvai l'ami évoqué dans la troisième lettre :
"- M.S. m'a grandement fait peur ce jour là. J'étais tout d'abord extrêmement heureux de le revoir - voyez-vous, nous avions fait nos études ensembles, et cela faisait au moins 20 ans que nous ne nous étions pas vus - mais son attitude est très rapidement devenue étrange. Ses propos perdaient parfois toute logique, et je finis par comprendre qu'il s'adressait à une personne que je ne pouvais pas voir. Quand je lui ai demandé avec qui il discutais, il m'a sorti un nom féminin je crois, et...
- Etait-ce Rose Finmelse?
- Oui, cela est bien possible, il s'agissait d'un nom de ce genre. En tous cas, quand je lui ai expliqué qu'il n'y avait personne à côté de lui, il s'est mis à s'énerver, à dire que je ne comprenais rien, que j'étais malpoli et grossier, et est parti fulminant de rage. J'étais terrifié par sa réaction. Je ne l'ai plus jamais revu par la suite..."
 
 
Ce dernier témoignage, coïncidant avec ceux que j'avais recueillis au préalable, fut donc pour moi la preuve définitive du fait que Rose Finmelse n'existe pas, et n'a jamais existé en d'autres lieux que dans l'esprit de M.S. La théorie du suicide revenait à grands pas, et je me rendis alors voir notre psychanalyste, pour obtenir son expertise. Après avoir lu les lettres, son analyse fut la suivante :
"M.S. est un cas très intéressant : bien sûr, il souffrait d'un trouble majeur qui lui transformait sa perception de la réalité, mais l'invention de cette personnalité qu'est Rose Finmelse n'est pas une conséquence de cette maladie : il s'agit d'un mécanisme usuel de l'être humain. En effet, les hommes ne peuvent hésiter indéfiniment quant il s'agit de définir leur idéal, et la quasi-totalité d'entre eux se crée cette identité parfaite, en tant qu'illustration de ce qu'ils considèrent comme étant absolument bon. Dans les cas habituels, cette personnalité est insufflée dans une personne; l'homme ou la femme concerné profite de tous les points communs entre la personne réelle et l'identité fictive pour s'illusionner sur la véritable identité de la personne aimée. L'être humain ne découvre pas l'amour : il l'apporte avec lui partout où il va, l'attache à la personne qui semble correspondre au mieux, et aime cette personne pour cette correspondance. Dans le meilleur des cas, la personne correspond réellement, et la relation a de fortes chances de durer - si le phénomène s'applique réciproquement, bien entendu. Dans le cas de M.S., une chose est étonnante : il avait absolument toutes les cartes en mains pour faire de sa relation une relation parfaite, mais son inconscient, qui est à l'origine des réactions de Rose Finmelse, a décidé de lui mener la vie dure, en créant une personne attachante mais qui ne l'aime pas. Peut-être avait-il un besoin inconscient de se punir de quelque chose? Peut être que son succès en musique était trop important, trop facile, et qu'il fallait qu'il souffre pour sa gloire(j'ai souvent ce cas de figure avec les artistes)? Ou alors, tout simplement, il luttait contre la maladie qui l'avait pris, et il tentait aveuglément de résister à ces hallucinations. Une chose est cependant certaine : il était victime d'une lutte intérieure terrible, et il ne me semble pas étonnant que, sans aide psychologique, il ait pu mettre fin à sa vie - pour être tout à fait honnête, cela me parait même être plus que probable."
 
Sur ces mots, j'ai clos l'affaire, et j'ai rédigé ce rapport. L'enquête spéciale n'a en rien modifié notre vision de la cause du décès, même si elle a pu en expliciter les raisons. Le personnage de Rose Finmelse fut l'expression de la folie intérieure de M.S., l'image qu'il s'était fait de sa chute. Sa plus grande erreur fut certainement, à mon humble avis, d'avoir succombé à sa propre image de la perfection, plutôt que de chercher celle qui lui aurait été rédemptrice, dans le monde réel. Une leçon que cet homme nous apprend est qu'il ne faut jamais laisser sa Rose Finmelse empiéter dans notre réalité. L'Absolu est Fin. Mais je m'écarte de mes prérogatives, et je me contenterais d'achever ce rapport par un résumé de ce suicide : M.S. s'est tué par le cœur.
 
Rédigé le 7 septembre 2015
Par l'inspecteur Ledure

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