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Belle du Seigneur, Albert Cohen - Mes souvenirs, mon ressenti

Apologie de:

"Belle du Seigneur" - Albert Cohen - 1968 - Gallimard

Pris d'une soudaine envie de relire ce chef-d'oeuvre, mon emploi du temps actuel ne me l'autorisant pas, je me console de manière trop insuffisante en écrivant ce texte. Cela me permet de relire ces nombreux extraits sur internet, me remémorant ce livre splendide, et, qui sait, peut être cela vous donnera l'envie de le lire, ce que je vous conseille vivement. 

Le mot a déjà été prononcé : splendide. Ce livre, lu à l'aube de mes dix-sept ans, fut le premier que je qualifiait alors de "roman" (et le seul, à ce jour, hélas). Cette distinction vous parait surement basique, peut-être commune, mais je ne donne pas le même sens au mot "roman" quand je l'emploie pour Belle du Seigneur. En effet, en lisant ces (très nombreuses mais magnifiques) pages, je me suis rendu compte de toutes les possibilités qu'offrent l'écriture; là où un film nous donne les sentiments par l'image, là où la musique nous les donne par le son, ce livre transmet les sentiments non pas par de simples mots, qui pourraient être dit oralement, mais par des lettres écrite sur le papier de manière à enfermer le sens dans l'encre, et à retranscrire ce sens directement dans notre cerveau, sans intermède si ce n'est que la pensée. Il m'a semblé évident que, extrait de ses pages, son texte n'aurait aucun sens; le lire à voix haute ou le transcrire en image serait alors une perte immense, là où je n'ai aucun mal à m'imaginer n'importe quel autre livre en film. Ce roman se rapproche de la poésie; rien ne saurait le décrire d'autre que lui-même. Je tente tant bien que mal d'essayer de vous le faire comprendre, et je sais pourtant que je n'y arriverai pas. Il se place en mon esprit bien au-dessus de n'importe quel autre "roman".

Ce miracle de la littérature n'est possible, à mon sens, que par une alliance d'une force incroyable entre le fond et la forme. Lire une phrase de ce texte, c'est être dans les choses même décrites par cette phrase, c'est comprendre les choses en même temps que les découvrir. Je n'ai pas honte de le dire, j'ai appris bien plus de chose dans ce livre sur certains aspects du monde que je n'aurai jamais pu apprendre par moi-même au terme d'une vie. Ce livre est une brique qui est venu s'insérer dans un manque cruel dont je souffrais alors, m'ouvrant les yeux sur cette perle de la vie qu'on nomme Amour. Il est vrai que le récit en apporte une image peu flatteuse, quand on repense à l'ensemble de l'oeuvre, mais pour moi cela ne fait que le rendre d'autant plus vrai, puisque justement il parvient à relativiser une chose dont il ne jure que par son caractère absolu; il place dans notre univers réel les bases du plus beau des fantasmes, jusqu'à nous (me, en tout cas) persuader de sa réalité. Ce livre est donc pour moi un véhicule, qui nous permet le dépassement de notre vision de la réalité, et de comprendre que les rêves ont le droit de prendre vie.

Ce que je dis ne s'appuie sur rien, et cela vous parait surement bien prétentieux; je vais alors ici développer quelques extraits, les expliquer selon mon point de vue subjectif. Ces extraits sont prélevés du site http://lecogito.free.fr/site/?action=livre&id=belle-du-seigneur eux-mêmes prélevés du roman. Pour ceux qui désireraient lire le livre à l'avenir, je leur déconseille de lire le dernier extrait, il dévoile un rebondissement important de la trame scénaristique. De plus, je globaliserai souvent mes propos par des termes très vastes tel "les femmes", et je tiens à préciser que je ne suis pas réducteur à ce point; dans de tels propos je parle alors du symbole des femmes tel que la société et l'image de l'humanité que nous pouvons avoir nous pousse à les imaginer, et les pousse elles-mêmes à être.

Dans ce passage, Solal, qu'Ariane ne connait pas, s'est introduit dans sa chambre et la surprend, déguisé en vieux juif édenté, à la sortie de sa douche, armé; il lui demande alors de l'aimer:

"Il lui sourit, et elle eut un tremblement, baissa les yeux.
Atroce, ce sourire sans dents. Atroces, ces mots d'amour hors de cette bouche vide. Il fit un pas en avant, et elle sentit le danger proche. Ne pas le contrarier, dire tout ce qu'il voudra, et qu'il parte, mon Dieu, qu'il parte.
- Devant toi, me voici, dit-il, me voici, un vieillard, mais de toi attendant le miracle. Me voici, faible et pauvre, blanc de barbe, et deux dents seulement, mais nul ne t'aimera et ne te connaîtra comme je t'aime et te connais, ne t'honorera d'un tel amour. Deux dents seulement, je te les offre avec mon amour, veux-tu de mon amour?
- Oui, dit-elle, et elle humecta ses lèvres sèches, essaya un sourire.
- Gloire à Dieu, dit-il, gloire en vérité, car voici celle qui rachète toutes les femmes, voici la première humaine!
Ridiculement, il plia le genou devant elle, puis il se leva et il alla vers elle et leur premier baiser, alla avec son noir sourire de vieillesse, les mains tendues vers celle qui rachetait toutes les femmes, la première humaine, qui soudain recula, recula avec un cri rauque, cri d'épouvante et de haine, heurta la table de chevet, saisit le verre vide, le lança contre la vieille face. Il porta la main à sa paupière, essuya le sang, considéra le sang sur sa main, et soudain il eut un rire, et il frappa du pied.
- Tourne-toi, idiote! dit-il.
Elle obéit, se tourna, resta immobile avec la peur de recevoir une balle dans la nuque, cependant qu'il ouvrait les rideaux, se penchait à la fenêtre, portait deux doigts à ses lèvres, sifflait. Puis il se débarrassa du vieux manteau et de la toque de fourrure, ôta la fausse barbe, détacha le sparadrap noir qui recouvrait les dents, ramassa la cravache derrière les rideaux.
- Retourne-toi, ordonna-t-il.
Dans le haut cavalier aux noirs cheveux désordonnés, au visage net et lisse, sombre diamant, elle reconnut celui que son mari lui avait, en chuchotant, montré de loin, à la réception brésilienne.
- Oui, Solal et du plus mauvais goût, sourit-il à belles dents.
Bottes! montra-t-il, et de joie il cravacha sa botte droite. Et il y a un cheval qui m'attend dehors! Il y avait même deux chevaux! Le second était pour toi, idiote, et nous aurions chevauché à jamais l'un près de l'autre, jeunes et pleins de dents, j'en ai trente-deux, et impeccables, tu peux vérifier et les compter, ou même je t'aurais emportée en croupe, glorieusement vers le bonheur qui te manque! Mais je n'ai plus envie maintenant, et ton nez est soudain trop grand, et de plus il luit comme un phare, et c'est tant mieux, et je vais partir! Mais d'abord, femelle, écoute! Femelle, je te traiterai en femelle, et c'est bassement que je te séduirai, comme tu le mérites et comme tu le veux. A notre prochaine rencontre, et ce sera bientôt, en deux heures je te séduirai par les moyens qui leur plaisent à toutes, les sales, sales moyens, et tu tomberas en grand imbécile amour, et ainsi vengerai-je les vieux et les laids, et tous les naïfs qui ne savent pas vous séduire, et tu partiras avec moi, extasiée et les yeux frits!"

||| Voila ce que je trouve grandiose en ce livre : Ariane représente toutes les femmes pures, et Solal représente tous les amants purs. Par purs, j'entends "qui ne se contentent pas de ce qui est possible, mais aspirent au meilleur"; c'est à dire qu'ils ne considèrent pas l'Amour comme un moyen, mais comme une fin. De ce fait, Ariane ne peut aimer le vieux juif, un impur, et Solal ne peut séduire Ariane de manière vile, impure. Il sait pertinemment qu'elle ne voudra pas de lui; si elle l'avait accepté tel quel, elle n'aurait alors eu aucun intérêt pour lui, c'eut été une impure. Alors, ce qu'il fait ici est un affront à la réalité qu'il semble tant haïr : le monde est fait selon des règles impures? Et bien il va jouer avec ces règles impures, il va les vaincre, il va démontrer que l'univers entier est impur, il va juste chercher à montrer que la réaction d'Ariane est le symbole de l’inexistence de l'Amour pur. Il avait prévu, avant cette rencontre, de placer une croix à un endroit sur son corps, un endroit où il devait tirer en cas de refus, afin de mourir rapidement; bien sûr qu'il ne peut se tuer après cela, le refus d'une femme est l'appel à la guerre le plus puissant, l'appel à vivre et vaincre, quoi qu'il en coûte. Il veut se nommer vengeur des hommes purs, de ces pauvres êtres qui ne peuvent séduire avec leur cœur car l'âme des femmes pures est trop corrompue. Il fait d'Ariane le symbole de la femme désirée. 

Ce passage est une pensée d'Ariane, pendant l'acte sexuel avec son maris Adrien Deume : 

"oh que le regard chien quand il commence à être chien quand il me regarde sérieux soucieux chien myope avec des intentions enfin quand il veut se servir de moi affreux ce qui est drôle c'est qu'il éternue quand sa lui vient quand il va faire le chien ça ne manque jamais il éternue deux fois atchoum atchoum et alors je me dis ça y est c'est le chien je n'y coupe pas il va faire sa gymnastique sur moi et en même temps j'ai envie de rire quand il éternue et en même temps angoisse parce que ça va venir il va monter sur moi une bête dessus une bête dessous [...]
Et lui se doutant de rien. Et moi trop pitié pour lui dire assez filez ça dure ça dure sur moi déshonoré et enfin ça y est c'est l'épilepsie la drôle d'épilepsie du monsieur qui s'occupe des territoires sous mandat et il pousse des cris de cannibale sur moi parce que c'est la fin et que le ça a l'air de lui plaire beaucoup et puis il tombe près de moi tout essoufflé c'est fini jusqu'à la prochaine fois non pas finie d'ailleurs parce que alors il se colle contre moi tout collant poisseux et il me dit des tendresses écoeurantes."

||| Plusieurs points à noter : l'écriture, magnifique, qui suit le cour de la pensée, sans points, sans arrêts, avec une logique propre à l'esprit et non plus aux phrases, "tel quel". Ensuite, la cruauté : Deume est certainement l'archétype de l'homme normal : il porte tous les travers d'un bon gentils bourgeois, si ce n'est qu'il est purement bon. Et il n'imagine surement pas que sa femme ne l'aime pas, pas un seul instant. Il la pense heureuse, autant qu'il est heureux. C'est cela qui me fait réagir : comment Ariane peut-elle ressentir un tel dégoût face à un homme si heureux? Comment peut-elle être si détachée de lui pour le mépriser alors qu'il l'adore? Comment peut-elle se sentir si supérieure à lui, si mauvaise, si hautaine? Et bien parce qu'elle est pure, et lui non, et c'est tout ce qu'à dénoncé Solal dans le premier extrait. Il lutte pour cet Adrien qui ne peut lutter pour lui-même.

Dans cet extrait, Solal explique à Adrien Deume sa vision de Don Juan au téléphone, alors qu'Ariane est derrière Solal, dans sa chambre, à l'écouter alors qu'il lui a promis de la séduire, malgré qu'elle ne le veuille pas, fidèle à Adrien :

"Expliquez bien aussi pourquoi cette rage de séduire chez Don Juan. Car en réalité, il est chaste et il apprécie peu les ébats de lit, les trouve monotones et rudimentaires, est somme toute comiques. Mais ils sont indispensables pour qu'elles l'aiment. Ainsi sont-elles. Elles y tiennent. Or, il a besoin d'être aimé. Primo, divertissement pour oublier la mort et que nulle vie après, que nul dieu, nul espoir, nul sens, rien que le silence d'un univers sans raison. Bref, par l'amour d'une femme, vous s'embrouiller et recouvrir l'angoisse de la mort. Secundo, recherche d'un réconfort. Par l'adoration qu'elles lui vouent, elles le consolent d'être dépourvu de semblables. Telle est la grandeur dont la suivante et dame d'honneur a nom Solitude. Tertio, elles le consolent aussi de n’être pas roi, car il est fait pour être roi, de naissance et sans y prendre peine. Roi il ne peut, chef politique il ne daigne. Car pour être choisi par la masse, il faut être semblable à elle, un ordinaire. Il régnera donc sur les femmes, sa nation, et il les choisira nobles et pures. Car quel plaisir d'asservir une impure ? D'ailleurs, les nobles et pures sont meilleures servantes de lit. Antipathique, est-elle en train de penser, et c'est bon signe.
Mais le plus important mobile de cette rage, c'est l'espoir d'un échec et qu'une enfin lui résistera. Hélas, jamais d'échec. Assoiffé de Dieu, chacune de ses mélancoliques victoires lui confirme, hélas, le peu d'existence de Dieu. Toutes ces nobles et pures qui, l'une après l'autre, tombent si vite en position horizontale, hier visages de madone est aujourd'hui furieusement langueuses et languières, lui sont la preuve sans cesse renouvelée qu'il n'est pas d'absolue vertu et que, par conséquent et une fois de plus, ce dieu qu'il espère ne veut pas être, et qui puis-je ?"

||| Ici, Solal commence sa longue destruction du mythe de l'Amour, devant Ariane, lui dénouant les ficelles de la séduction et de la bassesse humaine. Il explicite ici la rage de séduire de Don Juan, le besoin qu'il a d'être aimé. La femme est ici décrite comme le seul remède au fait de naître unique, seul. Un divertissement, pour passer au-delà de la souffrance de vivre. Et par dessus tout, il rêve d'une femme qui lui résiste, une femme qui lui prouve que les femmes ne sont pas ces animaux dépendant de la réalité, que celles-ci sont des être supérieurs, capables de noyer son chagrin, en fait. Mais jamais cela, il les vainc toujours, et cela le fait vivre. Car le désir de vivre ne naît en lui que par le plaisir de vaincre. La défaite serait pour lui le signe que ce monde ne veut plus de lui, qu'il n'en a plus besoin en fait. On ressent un profond respect, mêlé à un profond dégoût, absurdité miroir de ses actes.

Ainsi suit la séduction, face à face, dans cette chambre d'hôtel, alors qu'il a obtenu d'elle qu'elle l'écoute sans mot dire pendant 2 heures :

« Honte de devoir leur amour à ma beauté, mon écoeurante beauté qui fait battre les paupières des chéries, ma méprisable beauté dont elles me cassent les oreilles depuis mes seize ans. Elles seront bien attrapées lorsque je serai vieux et la goutte au nez ou, mieux encore, sous la terre en compagnie de ses racines et de ses silencieux vermisseaux ondulants, tout vert et desséché dans ma caisse disjointe, et elles me trouveront moins succulent alors, les bien fait pour elles, et je m'en régale déjà. Ma beauté, c'est-à-dire une certaine longueur de viande, un certain poids de viande, et des osselets de bouche au complet, trente-deux, vous pourrez contrôler tout à l'heure avec un petit miroir comme chez le dentiste, à toutes fins et garanties utiles, avant le départ ivre vers la mer.
« Cette longueur, ce poids et ces osselets, si je les ai, elle sera un ange, une moniale d'amour, une sainte. Mais si je ne les ai pas, malheur à moi ! Serais-je un génie de bonté et d'intelligence et l'adorerais-je, si je ne peux lui offrir que cent cinquante centimètres de viande, son âme immortelle ne marchera pas, et jamais elle ne m'aimera de toute son âme immortelle, jamais elle ne sera pour moi un ange, une héroïne prête à tous les sacrifices.
« Voyez les annonces matrimoniales l'importance que ces jeunes idéalistes accordent aux centimètres du monsieur qu'elles cherchent. Eh là ! Crient ces annonces, il nous faut 170 cm de viande au moins et qu'elle soit bronzée ! Et si le malheureux ne peut proposer qu'une petite longueur, elles crachent dessus. Donc, si ne mesurant par hypothèse que ces malheureux 150 centimètres, j'essaie tout de même de lui dire mon amour le plus vrai, elle sera une pécore sans coeur, et elle toisera ma brièveté avec un air dégoûté !
« Oui, madame, 35 cm de viande de moins et elle ce fiche de mon âme et elle ne se mettra jamais devant ma poitrine pour me protéger des balles d'un gangster. Idem si, étant le génie susdit, je suis démuni de petits os dans la bouche ! Ces dames éprises de spiritualité tiennent aux petits os ! Elles raffolent de réalités invisibles, mais les petits bouts d'os, elles les exigent visibles ! S'écria-t-il joyeusement, une tristesse dans les yeux.
« Et il leur faut beaucoup ! En tout cas, les coupeurs de devant doivent être au complet ! Si de ceux-la il en manque deux ou trois, ces Angéliques ne peuvent goûter mes qualités morales et leur âme ne marche pas ! Deux ou trois petits os de quelques millimètres moins et je suis fichu, et je reste tout seul et sans amour ! Et si j'ose lui parler d'amour elle me le lancera un verre à la figure dans l'espoir de m'éborgner ! Comment, me dira-t-elle, tu n'as pas de petits bouts d'os dans la bouche et tu as l'audace de m'aimer ? Hors d'ici, misérable, et reçois en outre ce coup de pied au derrière ! Donc ne pas être bon, ne pas être intelligent -- un ersatz suffit -- mais peser le nombre nécessaire de kilos et être muni de petits broyeurs et trancheurs !
« Alors, je vous le demande, quelle importance accordée à un sentiment qui dépend d'une demi-douzaine d'osselets dont les plus longs mesurent à peine de centimètres ? Quoi, je blasphème ? Juliette aurait-elle aimé Roméo si Roméo quatre incisives manquantes, un grand trou noir au milieu ? Non ! Et pourtant il aurait eu exactement la même âme, les mêmes qualités morales ! Alors pourquoi me serinent-elles que ce qui importe c'est l'âme et les qualités morales ?
« Que je suis innocent de tellement insister ! Elles savent fort bien tout cela. Tout ce qu'elles veulent, c'est qu'on n'en parle pas clairement, et qu'on fasse de faux monnayage, et qu'on dise des mots de grande distinction, mes ennemis personnels, et qu'au lieu de 180 cm et osselets on dise noble prestance et sourire séduisant ! Donc qu'on se taise et qu'on ne me méprise plus par ici et qu'on ne chuchote plus que je suis ignoble et matérialiste ! Le plus ignoble ici n'est pas celui qu'on pense !
« Et rien ne leur échappe, a ces mignonnes ! À la première rencontre, tout en te parlant des Fiorreti de saint François d'Assise, elles te détaillent et te jugent. Sans en avoir air, elles ont tout repéré, y compris le nombre et la qualité des petits os de la bouche, et s'il t'en manque un ou deux tu es perdu ! Perdu, mon ami ! Par contre, si tu es dégustable, du premier coup d'oeil elles savent que tu as les yeux marron mais un peu verts avec quelques points d'or, ce dont tu ne t'es jamais douté. Des regardeuses. De premier ordre.
« Et ce n'est pas tout, elles ne se contentent pas d'une inspection du visage ! Il leur faut du tout compris ! À cette première rencontre, de leur regard Angélique et bleu elles t'ont déshabillé sans que tu t'en doutes et sans qu'elles s'en doutent elles-mêmes, car elles ne s'avouent pas leurs regardages. Ce déshabillage instantané, elles y ont toute recours, même les vierges. De leur coup d'oeil de spécialistes, elles savent tout de suite comment tu es viandeusement sous les vêtements, si suffisamment de muscles, si poitrine large, si ventre plat, si hanches étroites et si pas de graisse. Car si tu es grassouillet, même à peine, tu es perdu ! Deux ou trois innocentes petites livres de graisse de trop sur le ventre, et tu n'es pas intéressant et elles ne veulent pas de toi !
« De plus, tenaces petits juges d'instruction et ne voulant donner leur foi qu'à bon escient, elles s'arrangent au cours d'une conversation distinguée, pleine de nature de petits oiseaux, pour t'interroger sans en avoir l'air et savoir si tu es apte aux forts remuements du corps, et te faire dire si tu aimes la vie au grand air, les sports. Ainsi la femelle du petit insecte en petit empis ne lui donne sa foi que si il fait preuve de sportivité ! Il faut que le pauvre bougre se débrouille pour porter sur son dos un petit ballon de je ne sais quoi trois fois plus gros que lui ! Authentique ! Et si elles apprennent que tu fais du cheval ou de l'alpinisme ou du ski nautique, c'est une garantie, et elles te savourent, heureuses de l'assurance que tu es bon pour le combat et l'engendrement. Mais naturellement, étant d'âme élevée, parce que de bonne bourgeoisie elles se gardent de penser bassement. Elles recouvrent avec des mots nobles, et au lieu de ventre plat et bon engendreur elles disent que tu as du charme. La noblesse est affaire de vocabulaire.
« Affreux. Car cette beauté qu'elles veulent toutes, paupières battantes, cette beauté virile qui est haute taille, muscles dures et dents mordeuses, cette beauté qu'est-elle sinon témoignage de jeunesse et de santé, c'est-à-dire de force physique, c'est-à-dire de ce pouvoir de combattre et de nuire qui en est la preuve, et dont le comble, la sanction et l'ultime secrète racine est le pouvoir de tuer, l'antipathique pouvoir de l'âge de pierre, et c'est le pouvoir que cherche l'inconscient des délicieuses, croyantes et spiritualistes. D'où leur passion pour les officiers de carrière. Bref, pour qu'elles tombent en amour il faut qu'elles me sentent tueur virtuel, capable de les protéger.

||| Ce que j'aime surement le plus dans ces chapitres est l'ironie mordante dont Solal fait preuve. Il enlève tout le raffinement de centaines d'années d'évolution, ou non plutôt il le dénonce au grand jour, et laisse l'être humain, ici la femme, sous le simple projecteur de l'être non plus raisonné mais instinctif. Il a poussé le raisonnement des causes de nos actes jusqu'à son plus profond sens caché, et se moque de ce qu'il a découvert. Il se moque du genre humain, et de ses ambitions ridicules, et surtout de l'hypocrisie "normale" d'une société qui ne vit plus que dans les apparences et la recherche du bonheur globalement admis. 

« Universelle adoration de la force. ô les subalternes épanouis sous le soleil du chef ô leurs regards aimants vers leur puissant, ô leurs sourires toujours prêts, et s'il fait une crétine plaisanterie le choeur de leurs rires sincères. Sincères, oui, c'est ce qui est terrible. Car sous l'amour intéressé de votre mari pour moi, il y a un amour vrai, désintéressé, l'abject amour de la puissance, l'adoration du pouvoir de nuire. ô son perpétuel sourire charmé, son amoureuse attention, la courbe déférente de son postérieur pendant que je parlais. Ainsi, dès que le grand babouin adulte entre dans la cage, ainsi les babouins males mais adolescents et de petite taille se mettent à quatre pattes, en féminine posture d'accueil et de réception, en amoureuse posture de vassalité, en sexuel hommage au pouvoir de nuire et de tuer, dès que le grand redoutable babouin entre dans la cage. Lisez les livres sur les singes et vous verrez que je dis vrai.
[...]
« Babouinerie, la démangeaison féminine de suivre la mode qui est imitation de la classe des puissants et désir d'en être. Babouinerie, le port de l'épée par des importants sociaux, rois, généraux, diplomates et même académiciens, de l'épée qui est signe du pouvoir de tuer. Babouinerie suprême, pour exprimer leur respect de Ce qui est le plus respectable et leur amour de Ce qui est le plus aimable, ils osent dire de Dieu qu'il est le tout-puissant, ce qui est abominable, et significative de leur odieuse adoration de la force qui est pouvoir de nuire et enfin de contre-pouvoir de tuer.
« Cette animale adoration, le vocabulaire même en apporte des preuves. Les mots liés à la notion de forces sont toujours de respect. Un "grand" écrivain, une oeuvre "puissante", des sentiments "élevés", une "haute" inspiration. Toujours l'image du gaillard de haute taille, tueur virtuel. Par contre, les qualificatifs évoquant la faiblesse sont toujours de mépris. Une "petite" nature, des sentiments "bas", une oeuvre "faible". Et pourquoi "noble" ou "chevaleresque" sont-ils termes de louange ? Respect hérité du moyen âge. Seuls à détenir la puissance réelle, celle des armes, les nobles et les chevaliers étaient les nuisibles et les tueurs, donc les respectables et les admirables. Pris en flagrant délit, les humains ! Pour exprimer leur admiration, ils n'ont rien trouvé de mieux que ces deux qualificatifs, évocateurs de cette société féodale où la guerre, c'est-à-dire le meurtre, était le but est l'honneur suprême de la vie d'un homme ! Dans les chansons de gestes, les nobles et les chevaliers sont sans arrêt occupés à tuer, et ce ne sont que triples traînant hors des ventres, crânes éclatés bavant leurs cervelles, cavaliers tranchés en deux jusqu'au giron. Noble ! Chevaleresque ! Oui, pris en flagrant délit de babouinerie ! À la force physique et au pouvoir de tuer ils ont associé l'idée de beauté morale.

 ||| Et il va plus loin que le sentiment d'Amour. Il constate que ce mal, cette adoration de la puissance de tuer, est répandue dans le monde entier sous toutes les formes.

oh assez. Pourquoi me donner tant de peine ? Je commence la séduction. Très facile. En plus des deux convenances, la physique et la sociale, il n'y faut que quelques manèges. Question d'intelligence. À une heure du matin donc, vous amoureuse, et à une heure quarante, vous et moi gare pour départ ivre mer soleil, et au dernier moment vous peut être abandonnée quai gare, pour venger le vieux. Le vieux, vous vous rappelez ? sa lévite, je la mets quelquefois la nuit, et je me déguise en juif de mon coeur, avec barbe et attendrissantes boucles rituelles et toque de fourrure et pieds traînants les dos voûté et parapluie ingénu, vieux juif de millénaire noblesse, ô amour de moi, porteur de la loi, Israël sauveur, et je vais dans les rues nocturnes, pour être moqué, fier d'être moqué par eux. Les manèges, maintenant.
« Premier manège, avertir la bonne femme qu'on va la séduire. Déjà fait. C'est un bon moyen pour l'empêcher de partir. Elle reste par défi, pour assister à la déconfiture du présomptueux. Deuxième manège, démolir le mari. Déjà fait. Troisième manège, la farce de poésie. Faire le grand seigneur insolent, le romantique hors du social, avec somptueuse robe de chambre, chapelet de santal, monocle noir, appartement aux Ritz, et crises hépatiques soigneusement dissimulées. Tout cela pour que l'idiote déduise que je suis de l'espèce miraculeuse des amants, le contraire d'un mari à laxatifs, une promesse de vie sublime. Le pauvre mari, lui, ne peut pas être poétique. Impossible de faire du théâtre 24 heures par jour. Vu tout le temps par elle, il est forcé d'être vrai, donc piteux. Tous les hommes sont piteux, y compris les séducteurs lorsqu'ils sont seuls et non en scène devant une idiote émerveillée. Tous piteux, et moi le premier !
« Rentrée chez elle, elle comparera son mari au fournisseur de pouahsie, et elle le méprisera. Tout lui sera motif de dédain, et jusqu'au linge sale de son mari. Comme si un Don Juan ne donnait pas ses chemises à laver ! Mais l'idiote, ne le voyant qu'en situation de théâtre, toujours à son avantage est fraîchement lavé et pomponné, se le figure héros ne salissant jamais ses chemises et n'allant jamais chez le dentiste. Or, il va chez le dentiste, tout comme un mari. Mais il ne l'avoue pas. Don Juan, un comédien toujours sur scène, toujours camouflé, dissimulant ces misères physiques et faisant en cachette tout ce qu'un mari fait ingénument. Mais comme il le fait en cachette et qu'elle a peu d'imagination, il lui est un demi-dieu. ô les sales nostalgiques yeux de l'idiote bientôt adultère, ô sa bouche bée devant les nobles discours de son prince charmant porteur de 10 mètres d'intestins. ô l'idiote éprise d'ailleurs, de magie, de mensonge. Tout du mari l'agace. La radio du mari et son inoffensive habitude d'écouter les informations trois fois par jour, pauvre chou, ses pantoufles, ces rhumatismes, ses sifflotements à la salle de bains, ses bruits lorsqu'il se brosse les dents, son innocente manie des petits noms tendres, dans le genre Chouquette, poulette ou tout simplement chérie à tout bout de champ, ce qui est dépourvu de piment et la met hors d'elle. Il faut à madame du sublime à jet continu.
« Elle est donc rentrée chez elle. Tout à l'heure, le séducteur l'entourait de guirlandes, l'appelait déesse des forêts et Diane revenue sur terre, et la voilà maintenant par le mari transformée en poulette, ce qui la vexe. Tout à l'heure, suave et charmée, elle écoutait le séducteur la gorger de sujets élevés, peinture, sculpture, littérature, culture, nature, et elle lui donnait délicieusement la réplique, bref deux cabots en représentation, et voilà que maintenant le pauvre mari en toute innocence lui demande ce qu'elle pense de la façon d'agir des Boulissons qu'ils ont eus à dîner il y a deux mois, et depuis, rien, silence, dîner pas rendu. Et le plus fort de café, c'est que j'ai appris qu'ils ont invité les Bourrassus ! Les Bourrassus, qu'ils ont connus grâce à nous, tu te rends compte ! Moi je suis d'avis de couper les ponts, qu'est-ce que tu en dis ? Et caetera, y compris le touchant tu sais chouchou ça a bien marché avec le boss, il me tutoie. Bref, pas de sublimités avec le mari, pas de prétentieux échanges de goûts communs à propos de Kafka, et l'idiote se rend compte qu'elle gâche sa vie avec son ronfleur, qu'elle a une existence indigne d'elle. Car elle est vaniteuse, l'amphore.
« Le plus comique, c’est qu'elle en veut à son mari non seulement de ce qu'il n'est pas poétique mais encore et surtout de ce qu'elle ne peut pas faire la poétique devant lui. Sans qu'elle s'en doute, elle lui en veut d'être le témoin de ses misères quotidiennes. Au réveil, la mauvaise haleine, la tignasse de clownesse ébouriffée et clocharde abrutie, et tout le reste, y compris peut-être l'huile de paraffine du soir ou les pruneaux. Dans le compagnonnage de la brosse dents et des pantoufles, elle se sent découronnée et elle en tient responsable le malheureux qui n'en peut mais. Par contre, quelle marche triomphale à cinq heures de l'après-midi lorsque, lessivée à fond avec mise en plis et sans pellicules, plus heureuse et non moins fière que la Victoire de Samothrace, elle va retrouver à larges Coulées son noble coliqueur clandestin, et elle chante des chorals de Bach, glorieuse de faire bientôt la sublime toute belle avec son intestineur, et en conséquence de se sentir princesse immaculée avec cette mise en plis si réussie.
« Dès le premier jour du manage, les Juives de stricte observance se rasaient le crâne et mettaient perruque. J'aime. Plus de beauté Dieu merci. Par contre, la plus belle vedette de cinéma, justement parce qu'elle se croit irrésistible et prend des poses de grande charmeuse avec son derrière, et qu'elle n'est que cela, pour la punir de sa beauté, corne du diable, je l'imagine aussitôt violemment purgée et en grands maux de ventre, et alors elle perd aussitôt sa splendeur, et je ne veux plus d'elle ! Qu'elle reste sur son siège ! Mais une Juive à perruque ne perd jamais son prestige, car elle s'est mise sur un plan où les misères physiques ne peuvent plus découronner. J'ai perdu le fil. Où en étais-je avec l'idiote ?
— Elle s'aperçoit qu'elle gâche sa vie.
- Louée soyez-vous, remercia-t-il, et de deux doigts il affila son nez, noble cimeterre, comme pour y aiguiser une pensée, fit soudain une tête attendrie.
Et pourtant il n'y a rien de plus grand que le saint mariage, alliance de deux humains unis non par la passion qui est rut et manège de bêtes et toujours éphémère, mais par la tendresse, reflet de Dieu. Oui, alliance de deux malheureux promis à la maladie et à la mort, qui veulent la douceur de vieillir ensemble et deviennent le seul parent l'un de l'autre. Ta femme, tu l'appelleras frère et soeur, dit le Talmud. (II s'aperçut qu'il venait d'inventer cette citation et enchaîna en douce.) En vérité, en vérité, je vous le dis, l'épouse qui presse le furoncle du mari pour en faire tendrement sortir le pus, c'est autrement plus grave et plus beau que les coups de reins et sauts de carpe de la Karénine. Louange donc au Talmud et honte aux adultères, raffoleuses de vie animale et qui filent vers la mer, le feu sous les jupes. Oui, animale, car l'Anna aime le corps de l’imbécile Wronsky et c'est tout, et toutes ses belles paroles ne sont que vapeurs et dentelles recouvrant de la viande. Quoi, on proteste, on me traite de matérialiste ? Mais si une maladie glandulaire avait rendu Wronsky obèse, trente kilos de graisse sur le ventre trois cents plaques de beurre sur le ventre, de cent grammes chacune, serait-elle tombée en amour à leur première rencontre? Donc viande, et qu'on se taise 1
« Quatrième manège, la farce de l'homme fort. Oh, le sale jeu de la séduction ! Le coq claironne pour qu'elle sache qu'il est un dur à cuire, le gorille se tape la poitrine, boum, boum, les militaires ont du succès. Die Offiziere kommen ! S’exclament les jeunes Viennoises et elles rajustent vite leur coiffure. La force est leur obsession et elles enregistrent tout ce qui leur en parait preuve. S'il plante droit ses yeux dans les yeux de la bonne femme, elle est délicieusement troublée, elle défaille à cette chère menace. S'il se carre avec autorité dans un fauteuil, elle le vénère. S'il a le genre explorateur anglais laconique ôtant sa pipe pour dire yes, elle voit des profondeurs dans ce yes, et elle l'admire de mordre le tuyau de sa pipe et d'en sucer dégoûtamment le jus. C'est viril et ça l'excite. Que le séducteur dise de nombreuses idioties mais qu'il les dise avec assurance, d'une voix male, voix de basse à créneaux, et elle le regardera, les yeux exorbites et humides, comme s'il avait invente une relativité encore plus généralisée. Elle relève tout, la démarche du type, sa façon de se tourner brusquement, de quoi son mignon tréfonds déduit qu'il est agressif et dangereux, Dieu merci. Et par-dessus le marché pour lui plaire il faut que je domine et humilie son mari, malgré la honte et la pitié que j’en éprouve. Oui, honte tout à I'heure quand je lui parlais au téléphone, honte de mon méprisable air de supériorité, à votre intention, cet air de supériorité qu'il faut prendre pour mettre le mari en état de timidité et le perdre aux yeux de l'idiote.
«Un chien pour le séduire, je n'ai qu'à être bon avec lui. La force, peu lui importe. Mais elles, non, elles en exigent, en veulent le cher danger. Oui, c'est le caractère dangereux de la force, pouvoir de tuer, qui les attire et les excite, babouines qu'elles sont. J'ai connu une jeune flue de bonne famille, une famille pleine de religion et de sentiments élevés, une jeune flue toute pure, qui avait une flamme pour un musicien de cent quatre-vingts centimètres, mais hélas doux et timide. Ne pouvant le transformer en authentique gaillard énergique, mais désireuse d'en devenir de plus en plus éprise, elle tachait de lui injecter de la virilité artificielle pour s'en titiller et l'aimer davantage. C'est ainsi qu'au cours de leurs innocentes promenades, elle lui disait de temps à autre : "Jean, soyez plus affirmatif." C'est ainsi encore qu'un jour elle lui offrit une pipe anglaise, très courte, genre loup de mer ou détective anglais, et elle n'eut de cesse qu'il ne se la mit au bec devant elle, jouissante et comblée. La pipe excitait cette malheureuse. Mais le jour suivant, elle rencontra dans un salon élégant un lieutenant de carrière. Alors, voyant l'uniforme et le sabre, elle tomba aussitôt en langueur d'amour, son sang battant fort à la porte ouverte de son âme, et elle sentit que la défense de la patrie c'était encore mieux que la musique. Un sabre, c'était tout de même plus excitant qu'une pipe.

||| Je ne sais pas quels effets ont ses mots sur vous, mais ils me font chavirer, me font à la fois perdre espoir en l'humanité et me donnent la force d'en créer une qui soit pure. 

Il alluma une cigarette, aspira une longue prise de fumée pour lutter contre le sanglot, sourit, refit le salut d'amitié.
— Cinquième manège, la cruauté. Elles en veulent, il leur en faut. Dans le lit, dès le réveil, comme elles ont pu m'assommer avec mon beau sourire cruel ou mon cher sourire ironique, alors que je n'avais qu'une envie, beurrer de toute mon âme ses tartines et lui apporter son thé au lit. Envie refoulée, bien sûr, car le plateau du petit déjeuner aurait singulièrement diminué sa passion. Alors moi, pauvre, je retroussais mes babines, je montrais mes bouts d'os pour faire un sou• rire cruel et la contenter. Malheureux Solal, elles lui en ont fait voir ! L'autre nuit, après une de ces gymnastiques auxquelles elles trouvent un étonnant intérêt, elle n'a pas manqué de me roucouler une mignonnerie dans le genre mon méchant chéri qui a été si insupportable avec moi hier. Avec reconnaissance, entendez-vous? Ainsi Elizabeth Vanstead m'a remercié de lubies cruelles à contrecoeur inventées, m'a remercié tout en caressant mon épaule nue. Affreux !
Il s'arrêta, haleta, les yeux fous, tigre emprisonné, cependant qu'elle le considérait. Elizabeth Vanstead, la fille de Lord Vanstead, la plus élégante étudiante d'Oxford, recherchée de tous, si hautaine et si belle qu'elle n'avait jamais osé l'aborder. Elizabeth Vanstead toute nue avec cet homme !
— Non, trop de dégoût, je ne peux plus. J'aime mieux séduire un chien. Oui, je sais, je me répète. Manie de ma race passionnée, amoureuse de ses vérités. Lisez les prophètes, saints rabâcheurs. Un chien, pour le séduire, je n'ai pas à me raser de près ni à être beau, ni à faire le fort, je n'ai qu'à être bon. Il suffira que je tapote son petit crâne et que je lui dise qu'il est un bon chien, et moi aussi. Alors, il remuera sa queue et il m'aimera d'amour avec ses bons yeux, m'aimera même si je suis laid et vieux et pauvre, repoussé par tous, sans papiers d'identité et sans cravate de commandeur, m'aimera même si je suis démuni des trente-deux petits bouts d'os de gueule, m'aimera, ô merveille, même si je suis tendre et faible d'amour. J'estime les chiens. Dès demain je séduis un chien et je lui voue ma vie. Ou peut-être essayer d'être homosexuel ? Non, pas drôle de baiser des lèvres moustachues. Voilà d'ailleurs qui juge les femmes, ces créatures incroyables qui aiment donner des baisers à des hommes, ce qui est horrible.
Il eut un regard traqué car il venait d'apercevoir une mouche sur la tapisserie, une de ces atroces grosses bleues métalliques qui l'effrayaient. Il s'approcha du mur avec précaution, constata que ce n'était qu'une tache. Rassuré, il sourit à cette femme, croisa les bras, esquissa un pas de danse, lui sourit encore, soudain inexprimablement heureux.
— Voulez-vous que je vous montre comme je sais bien jongler? Je peux jongler avec six objets différents, ce qui est difficile à cause des inégalités de poids et de volume. Par exemple, une banane, une prune, une pêche, une orange, une pomme, un ananas. Voulez-vous que je sonne le maître d'hôtel pour qu'il apporte des fruits? Non? Dommage.
Il alla à travers la pièce, svelte et les cheveux désordonnés, l'air faussement distrait, soignant son charme, extravagant avec, sa brimbalante cravate de commandeur. Revenu vers elle, il lui offrit une cigarette qu'elle refusa, puis des fondants au chocolat qu'elle refusa aussi. Il eut un geste de résignation et parla de nouveau.
— Moi aussi je me raconte des histoires dans le bain. Ce matin, je me suis raconté mon enterrement, c'était agréable. A cet enterrement sont venus des chatons en rubans roses, deux écureuils bras dessus bras dessous, un caniche noir avec un col de dentelle, des canetons en manchons, des brebis avec des chapeaux bergère, des chevrettes en crêpe georgette, des colombes bleu pastel, un petit âne en larmes, une girafe en costume de bain 1880, un lionceau pattu qui croque un coeur de salade pour montrer qu'il a bon coeur, un boeuf musqué qui répand une gaieté franche et de bon aloi, un petit rhinocéros myope, tellement mignon avec ses lunettes en écaille et sa corne peinte en or, un bébé hippopotame avec un tablier en toile cirée pour ne pas se salir quand il mange, mais il ne finit jamais sa soupe. Il y a aussi sept petits chiens très copains en habits du dimanche, fiers de leurs blouses marinières et de leurs sifflets retenus par une tresse, ils boivent des sirops de framboise avec une paille, puis ils mettent une patte devant leur bouche pour bâiller parce qu'on s'embête à cet enterrement. Le plus petit chien en escarpins est habillé en petite fille modèle avec un pantalon de dentelle qui dépasse, et il saute à la corde pour se faire admirer par sa maman qui cause honorablement avec une demoiselle sauterelle aux yeux froids pensant à l'eau d'un étang. Cette sauterelle est très religieuse, elle adore les couronnements des reines et leurs accouchements. Tout en sautant, le mignon petit chien récite à toute allure essoufflée un petit poème pour être félicité. Quand il a fini, il s'accroche à la jupe de sa maman et il la regarde avec passion, attendant un baiser et des compliments, mais elle lui répond en anglais qu'elle est occupée, Mother is busy dear, et elle ne le regarde même pas tant elle écoute les médisances de la tricotante sauterelle, alors le petit chien se remet à sauter et redit son poème cependant que, tout près de lui et mourant de jalousie, un petit tatou improvise à son tour un poème pour sa tante. À mon enterrement il y a aussi, bien sûr, des nez juifs qui circulent sur de petites pattes, une naine Nanine qui fait des entrechats, entourée de sept petits chats, un lapin célibataire qui récite une prière, un faon infant mélancolique, des poussins en satin avec des hauts-de-forme trop petits, qui discutent debout dans un autocar miniature, c'est la bande des rabbins, le poussin le plus saint en triple satin servant de grand rabbin. Je continue ?
— Oui, dit-elle sans le regarder.
— Il y a encore un pékinois qui pour se faire respecter dit de temps en temps Il est incontestable ou encore Je présume, et puis il y a un castor qui creuse le trou pour mon coeur, mon coeur coupable d'ardeur, et puis il y a un koala en chapeau tyrolien qui lit mon oraison funèbre et s'embrouille, et puis il y a ma petite chatte Timie en voiles de veuve qui se mouche de chagrin coquin, mais ses voiles se prennent aux piquants d'un hérisson très sérieux que je connus dans le canton de Vaud et qui pleure sincèrement tandis que ma petite chatte débarrassée de ses voiles s'est installée sur une tombe herbue et fait studieusement sa toilette au soleil, s'arrêtant subitement pour contempler des poneys nains emplumés enturbannés qui, pour solennellement célébrer, croient devoir gratter la terre avec leurs sabots de devant puis se dresser sur leurs sabots d'arrière. Il y a encore un petit singe en toque de velours qui joue une polka sur un accordéon pour faire l'orgue cependant qu'un chaton fou, ne comprenant rien à ce qui se passe, fait le cheval arabe pour être admiré, est un cheval très méchant, charge courageusement n'importe qui n'importe où, oreilles guerrières, panache au derrière, et croit être la terreur des canetons qui échangent des bonbons avec des fous rires. Voilà, c'est le cortège funéraire de mon coeur qu'on enterre, c'est charmant, ravissant, très réussi. Maintenant mon cœur est enterré, il n'est plus avec moi. Le cimetière est désert et tous sont partis, sauf une mouche qui se savonne les pattes de devant sur ma tombe, d'un air satisfait, et moi debout, tout vide et pâle. À quoi pensez-vous?
— Comment est le poème du petit chien ? demanda t-elle après l'avoir regardé en silence.
— Petit cien a dit à sa mamette Quand serai grand. Je défendrai le roi Aux pattes un galon d'or En tête du
satin Aux dents une pipette Pour tirer des bouffées Et le bon roi dira Trois petits os Trois petits pains Pour
le vaillant petit cien. Oui, il a un défaut de prononciation, expliqua-t-il avec sérieux, il ne sait pas dire chien, il dit cien, il ne sait pas dire je, il dit ie. Et comment est le poème du petit tatou?
— Titatou a dit à sa tante Tâte tantine sous mon veston Car j'ai mangé une bardoine Et j'ai bien mal jusqu'au menton.
— C'est une chatte pour de vrai, la petite chatte Timie?
— Oui, pour de vrai, mais elle est morte. C'était pour elle que j'avais loué la villa de Bellevue, parce qu'elle n'était pas heureuse ici, au Ritz. Oui, une villa rien que pour elle, pour lui donner des arbres où grimper, où se faire les griffes, une prairie avec de bonnes odeurs de nature, où bondir, où chasser. J'avais fait meubler le salon pour elle avec un canapé, des fauteuils, un tapis persan. Je l'aimais, petite bourgeoise à habitudes et conforts, capitaliste en son fauteuil, mais aussi anarchiste qui détestait obéir quand je lui disais de rester couchée, ange kleptomane, petite tête sérieuse même quand elle folâtrait, usine à ronrons, petite bonne femme joufflue et foufflue, silencieuse damette aux moustaches, paix et douceur devant le feu, soudain si lointaine et digne, légendaire.
« Timie avec qui je pouvais sans inconvénient être tendre et absurde et adolescent, Timie ma mousseuse,
tête soudain plus menue quand ça lui chantait de faire du sentiment, yeux qui se fermaient de complicité tendre, yeux mi-clos extasiés parce que pour la centième fois je lui disais qu'elle était gentille, Timie ébouriffée rêvant au soleil, donnant son petit nez au soleil, trouvant belle la vie, la petite vie sous le soleil, ô ses chers yeux vides. Timie si studieuse lorsqu'elle faisait, soudain inspirée, sa toilette au soleil et qu'elle léchait sa cuissette d'arrière relevée avec des gestes de joueur de contrebasse, s'arrêtant subitement pour me regarder avec un intérêt ahuri, cherchant à comprendre, ou pour réfléchir, distraite, petit penseur avachi par le soleil qui tapait. Quand je revenais de chez les hommes, c'était un petit bonheur, loin de ces singes méchants en vestons noirs et pantalons rayés, de la retrouver, si prête à me suivre, à avoir foi en moi, à carder mes genoux, à me faire des grâces avec sa tête impassible qui se frottait contre ma main, petite tête qui ne pensait jamais de mal de moi, ma chérie pas du tout antisémite.
« Elle comprenait plus de vingt mots. Elle comprenait sortir, attention méchant chien, manger, pâtée poisson, bon petit foie, fais gracieuse, dis bonjour — qu'il fallait prononcer dibouzou et alors elle frottait sa tête contre ma main pour me dire bonjour. Elle comprenait mouche, et ce mot s'appliquait à toute la gent ailée, et alors comme ma chasseresse se précipitait à la fenêtre dans l'espoir d'une proie. Elle comprenait vilaine, mais alors elle n'était pas d'accord et protestait. Elle comprenait tiens et viens. Elle ne venait pas toujours, mon indépendante, quand je lui disais viens. Mais comme elle accourait, aimable, empressée, première vendeuse de grand couturier, si je lui disais tiens. Quand je lui disais tu me fais de la peine elle miaulait en tragédienne. Quand je lui disais tout est fini entre nous, elle allait sous le divan et souffrait. Mais je la repêchais avec une canne et je la consolais. Alors elle me donnait un baiser de chat, un seul coup de langue rêche sur la main et on ronronnait ensemble, elle et moi.
« La pauvrette restait seule toute la journée dans la grande villa. Sa seule compagnie était la femme du jardinier qui venait le matin et le soir lui préparer ses repas. Alors, quand elle s'ennuyait trop et se languissait de moi, elle faisait une sottise comme d'entailler à coups de griffes la Bible posée sur la table du salon. C'était une petite opération cabalistique, une incantation, un sortilège pour me faire magiquement surgir, pour évoquer l'ami indispensable. Dans cette petite cervelle, il y avait cette idée : quand je fais quelque chose de mal, il me gronde et par conséquent il est là. Ce n'était pas plus absurde que de prier.
« Quand je venais la voir le soir après la sous-bouffonnerie, quels bonds à travers le corridor dès qu'elle entendait la merveille de la clef dans la serrure, et alors c'était une petite scène conjugale. J'ai souffert, disaient ses pathétiques miaulements de contralto, tu me laisses trop seule et ce n'est pas une vie. Alors, j'ouvrais le frigidaire et j'en sortais du foie cru, je le découpais avec des ciseaux et tout allait bien de nouveau. Idylle. J'étais pardonné. La queue vibrante d'impatience et de bonheur, elle fabriquait des ronrons premier choix, frottait sa frimousse contre ma jambe pour me faire savoir combien elle m'aimait et me trouvait charmant de découper du foie. Lorsque le foie était prêt dans la soucoupe, j'aimais ne pas le lui donner tout de suite. Je me promenais à travers le hall et le salon avec des méandres, et elle me suivait partout en grande fête, avec une démarche de marquise, cérémonieusement, enfant modèle et grande maîtresse de la cour, habillée soudain de gala, son noble panache frémissant et dressé, me suivait à pas mignons feutrés, si empressée en son menuet charmant, légère de convoitise et d'amitié, les yeux levés vers la sainte soucoupe, si fidèle et dévouée et prête à aller au bout du monde avec moi. Mon cher petit faux bonheur, ma chatte.
« Lorsque j'arrivais, si elle était dehors, à l'autre bout de la prairie, dès qu'elle m'apercevait de loin, cette course folle, cette trajectoire de petit bolide le long de la pente, et c'était de l'amour. Arrivée, elle s'arrêtait net devant moi, adoptait une attitude de dignité, faisait lentement le tour de l'ami, majestueuse, si coquette et impassible, le somptueux panache glorieusement dressé de bonheur. Au deuxième tour, elle se rapprochait, incurvait sa queue contre mes bottes, levait les yeux pour me regarder, faisait le gros dos et la charmante puis ouvrait sa petite gueule rose en délicate supplique pour demander sa pâtée.
« Le petit repas terminé, elle allait au salon faire sa sieste, s'installait sur le meilleur fauteuil, le plus griffé, et elle s'endormait, une douce patte velue contre ses yeux fermés pour mieux les protéger de la lumière. Mais soudain les oreilles de Timie endormie se dressaient, se dirigeaient vers la fenêtre et quelque bruit important du dehors. Alors, elle se levait, passant brusquement du sommeil à une attention passionnée, effrayante et belle, concentrée vers le bruit captivant, puis s'élançait. Sur le rebord de la fenêtre, devant les barreaux, elle restait un moment figée, pathétique d'intérêt, les yeux fixés sur une proie invisible, poussant de légers appels de désir félin, saccadés, plaintifs. Enfin, après les ondulations préparatoires et les déhanchements de prise d'élan, elle bondissait à travers les barreaux. Elle était en chasse.
« Elle aimait dormir avec moi. C'était un de ses buts de vie. De la terrasse, où elle prenait un bain de soleil où guettait un moineau avec de petits rictus de convoitise, dès qu'elle m'entendait m'étendre sur le canapé du salon, elle bondissait, entrait par la fenêtre ouverte, et ses griffes faisaient un petit bruit de grêle sur le parquet. Elle s'élançait sur ma poitrine, la foulait soigneusement de ses pattes alternées, pour bien préparer sa place. Lorsqu'elle avait terminé sa petite danse rituelle de pétrissage, née peut-être dans la forêt préhistorique où ses ancêtres étalaient un lit de feuilles sèches avant d'entrer dans le sommeil, elle s'étendait sur ma poitrine, s'installait, soudain longue et princière, parfaitement heureuse, et le petit moteur de sa gorge se mettait en marche, d'abord en première, puis en prise directe, et c'était le bonheur de la sieste ensemble. Elle mettait sa patte sur ma main pour bien savoir que j'étais là, et quand je lui disais qu'elle était gentille, elle enfonçait un peu ses griffes dans ma main sans me faire mal, juste ce qu'il fallait pour me remercier, pour me montrer qu'elle avait compris, pour me dire qu'on s'entendait bien, nous deux, qu'on était amis. Voilà, c'est fini, je ne séduis plus.

||| On arrive au stade où les mots n'ont plus de sens, ou les phrases s’enchaînent sans pensée et où l'âme révèle son identité. C'est pour ça que l'évocation de la chatte est d'une honnêteté et d'une pureté absolue. Cet animal simple vaut à lui seul tous les amours du monde. Que l'Homme doit être un triste animal errant, pour ne savoir se contenter de sa petite chatte et rechercher les caresses d'une femme. Je ne mettrai pas la suite de la séduction, la suite des manèges, car le texte est encore bien trop long, et je vous laisserai découvrir les merveilles qu'il recèle encore par la suite quand vous lirez ce roman. Il recèle bien d'autres aspects, tel que l'innocence des oncles, la famille d'Adrien Deume, la critique des hommes quand il s'agit d'éviter la guerre, et d'autant plus de railleries qui illustrent un monde qui au final, et je le dis avec un petit sourire triste, est le notre. Je ne sais pourquoi je l'apprécie autant, surement parce qu'il apporte justement dans ce monde une vision d'une chose absolue, qui nous dépasse tous, et à laquelle nous pouvons nous soumettre (qu'il est bien plus simple d'obéir que de dicter !), l'Amour. Le dernier extrait que je vais insérer ici ne doit pas être lu si vous souhaitez lire le roman plus tard.

 

ATTENTION SPOILER, NE PAS LIRE

 

Dans cet extrait, qui vient bien tardivement dans le roman, Adrien Deume vient d'être abandonné par sa femme, partie avec Solal. Il ne sait absolument pas pourquoi, et est complétement perdu, avec son revolver, dans les toilettes.

"Une fois encore assis sur le siège, il ôta le cran d'arrêt du browning, le remit, passa ses doigts dans ses cheveux en sueur, considéra ses doigts, les essuya à la veste du pyjama. Il avait peur. Des gouttes coulaient le long du collier de barbe, venaient se rejoindre sous le menton. Il avait peur. De nouveau, il ôta le cran d'arrêt. Même pour mourir, il fallait faire un geste de vie, presser la détente. L'index qui pressait la détente, qui bougeait encore une fois afin de ne plus jamais bouger. Oui, voilà, le tout était que l'index voulût presser. Mais lui, non, il était jeune, il avait toute la vie devant lui. Conseiller bientôt, puis directeur de section. Demain, dicter le rapport. Se lever maintenant, téléphoner pour un taxi, et puis le Donon. Oui, le Donon. Mais d'abord le mettre un peu contre la tempe, juste pour voir comment c'était quand on s'y décidait. Mais lui, non, pas si bête, il était jeune, il avait toute la vie devant lui. Lui, c'était seulement pour voir. Seulement faire le geste, pour se rendre compte, pour voir cornent on faisait. Oui, c'était comme ça qu'on faisait, le canon contre la tempe. Mais lui, non, son index ne voudrait pas. Lui, c'était seulement pour voir. Lui, non, non, très peu pour lui, pas si bête. Bien dormi, bien reposée? Une fois, elle lui avait cligné de l’œil.
Elle lui cligna de l’œil et son index voulut. Couche toi maintenant, il est tard, chuchota une voix à son oreille tandis que lentement il se prosternait. Le front sur le tabouret, entre les pattes de l'ourson, il entra dans la chambre chaude de son enfance."

||| Un traumatisme, pour moi, ce passage ! L'homme que l'on apprend à prendre en pitié durant tout ce livre, cet être normal, qui n'a absolument rien demandé à personne, sinon vivre comme il est, vivre heureux. Et il a suffit de ce Solal pour emporter sa femme, pour que la vie fade qu'il vivait soit brisée. En cela, je pense que Solal a perdu son objectif originel qui était de venger ces pauvres êtres, et qu'il est en fait la cause de tout le mal. Il lutte contre un mal par le mal, et cela n'est jamais bon. Et pour finir, nous voyons là le pouvoir que peuvent avoir les yeux d'une femme...

 

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